Lettre ouverte à Monsieur Emile Verhaeren, poète

Cher Monsieur,

Beste Emile,

Je me permets une certaine familiarité dans cette lettre bien que nous ne nous sommes pas connus. Tu es né 98 ans avant moi. J’écris cette lettre en Garamond, ayant vu ta belle écriture et voulant la respecter, l’approcher.

Je passe souvent, en vélo, devant ta tombe et je suis même déjà entré dans ton musée pour écouter des poèmes en français et leur traduction de poètes belges du nord. Chaque fois que je passe devant ta tombe, je te salue. Je ne sais pas pourquoi. Par politesse? Parce que noblesse de la poésie oblige? Sans doute. A-t-on toujours besoin de savoir pourquoi?

La semaine passée, j’ai décidé de te lire. J’avoue, à part les villes tentaculaires, je ne connaissais rien de ton oeuvre. Un titre, c’est tout. Aujourd’hui, je suis à nouveau entré dans ton musée et j’y ai lu quelques uns de tes poèmes. Ils ont confirmé ma décision de te lire.

Je me suis demandé comment tu es mort. Figure-toi que ton corps a fait l’objet d’une dispute entre la poésie française et ta propre famille. Ta famille t’a gagné mais en raison de la guerre, ton corps défunt a dû faire tout un voyage, dont on retrouve tout au mur de ton musée.

Permets-moi un petit sourire, maintenant que j’ai trouvé la réponse à ma question. En bon bourgeois, tu avais décidé, dans un élan de jeunesse et d’esprit anarchiste, de choquer les bourgeois afin d’être connu d’emblée. Et cela a marché! Avec ton premier recueil, les Flamandes, les poètes d’avant-garde t’ont bien apprécié et tu étais connu, tandis qu’au pays, la Belgique du nord, on parlait scandale et ta famille a même essayé de supprimer tous les exemplaires de ce recueil.

Ta renommée a grandi depuis et le public devenait des foules. C’est justement une foule qui t’a poussé, à Rouen, sous le train qui t’a tué en 1916. Tu avais 61 ans. Comme on dit chez nous et donc chez toi: de tol van de roem.

Tout comme moi, tu fumais la pipe. Tu avais grande raison. La pipe a failli me tuer, je ne l’ai pas cassée mais rejetée. Toi, tu t’es cassé la pipe autrement, donc. Presque à la façon d’un poème de Delphine Lecompte!

Toutefois, moi je salue en toi un futuriste, un moderniste. J’achèterai donc tes poèmes un de ces quatre. Au revoir.

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